Jean Paul Gaultier dans Cinémathèque

Jean Paul Gaultier à la Cinémathèque. Entretien avec Jean Paul Gaultier.

La Fashion Week de Paris a eu plusieurs événements qui valent la peine d'être associés. L'un d'eux était l'ouverture de Cinémathèque d'une exposition organisée par Jean Paul Gaultier. Cette merveilleuse histoire parle d'amour, de l'amour de Jean Paul Gaultier au cinéma.

Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE
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La Cinémathèque est un lieu à Paris qui recèle de nombreuses merveilles. L'un d'eux est la collection des costumes, offerte à ce musée par les acteurs et réalisateurs. Cette collection est merveilleusement riche par les costumes depuis les films en noir et blanc. Pièces extrêmement rares soigneusement conservées dans les archives. Cela a commencé par Henri Langlois, pionnier de la conservation des films, il fut une figure influente de l'histoire du cinéma.

Jean Paul Gaultier a fait une sélection des robes rares et des costumes des films emblématiques, dont les costumes de créateurs comme Paco Rabanne. Jean Paul Gaultier a partagé avec nous son amour pour le cinéma et la collection.

Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE
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Entretien avec Jean Paul Gaultier

Ce que je peux dire, c'est que pour moi c'est une joie et un honneur.
J'ai toujours été inspiré par le cinéma. Si j'ai fait de la mode, c'est parce que j'ai vu les films qui m'ont donné envie de faire de la mode.

Quand j'étais petit, j'ai vu à la télévision une émission intitulée « Les folies des bergères ». J'étais très inspiré. Puis à 13 ans j'ai vu un film intitulé « Paris Frills (français : Falbalas) » avec Micheline Presle. L'histoire était assez incroyable. Puis Micheline Presle, la star des années 1940, 1950, 1960, qui a fait bien d'autres films incroyables. Même quand elle avait 80 ans, elle était incroyable.
C'est donc elle qui m'a fait dire après avoir vu ses films : « Hé, c'est le film, c'est ce que je veux faire. Je veux être un couturier comme le couturier qui a fait ces robes. Je vais faire la même chose. Et c'était ma bible, c'était mon école.
Je ne suis pas allé à l'école de mode. Tout ce que j'ai fait, c'est de revoir, et encore, ce film « Falbalas ». J'ai eu la chance à 18 ans de rejoindre la maison de couture Pierre Cardin. Et puis j'ai décidé de visiter la maison de couture Jean Patou qui était rue Saint Florentin. Et je me suis dit que je suis dans « Falbala ».
Ce film était tellement exceptionnel. Dans ce film, j'ai vu une image parfaite de ce que j'ai vu plus tard dans la couture, dans la mode. Donc tout était là, et c'était en quelque sorte la vérité de ma vie, la partie qui faisait de moi le couturier.

Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE
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La raison pour laquelle ce film était si bon, c'est que Jacques Becker, le réalisateur de « Falbala », était un très ami de Marcel Rochas, un couturier, qui en plus (je m'en suis rendu compte après) fabriquait les corsets. J'ai été tellement inspirée par ses corsets et ses robes-corsets, que je me suis dit : « Hey, ça y est !
Alors si vous voulez, c'est grâce à ce film qui était une telle peinture que je suis devenu le dessinateur.

Et bien sûr, j'ai toujours été influencé par le cinéma. Le cinéma est comme la mode représente ce qui se passe dans la société, dans la vie. Ils sont en quelque sorte l'air du temps, l'air du temps que les cinéastes, des réalisateurs comme Costa Gravas, reflètent dans leurs films. Et je dois dire que nous, les gens qui travaillent dans la mode, reflétons un peu notre société, racontant des histoires sur ce qui se passe…
Économiquement, socialement, nous sommes le reflet de ce qui se passe dans le monde à un moment donné. Il faut émerveiller les gens, il faut évoquer quelque chose de beau, et les faire rêver.

Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE
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J'ai été influencé par beaucoup de films. Alors dans cette exposition vous verrez évidemment mes débuts, mes débuts dans la mode.
Nous avons travaillé sur cette exposition pendant un an. J'ai été un peu choquée à quelques reprises lors de la préparation, même si j'ai eu quelques découvertes dans les vêtements des années 30, et dans les détails qui révélaient quelque chose qui appartient à la mode masculine.
Par exemple, je vous livre cette petite histoire parce qu'elle n'est pas dans l'exposition.
Je vous le dis entre nous, la veste homme a une poche intérieure (poche poitrine) sur le côté gauche car elle est fermée sur le côté droit. Difficile, hein ? Sur les vestes pour femmes, il n'y en a pas, pas de poche. Pour les hommes il y a toujours une poche pour mettre le portefeuille, ou le sac à main. Ce sont des symboles d'un homme qui a le pouvoir, etc.
J'ai essayé dans mes collections de faire l'inverse, sur les vestes femme je mets des poches intérieures aussi, de l'autre côté, pour que les femmes puissent avoir un symbole de pouvoir, elles puissent payer au restaurant etc. C'est un petit détail mais très important, ce qui est très lié à notre société et à notre vie.
Ce ne sont que de petits détails dans les vêtements.
Autre exemple, la relation entre hommes et femmes est encore très très présente dans les vêtements. J'ai toujours essayé de faire bouger les choses, de mélanger un peu… Alors dans cette exposition j'ai essayé de le montrer.
On peut voir les changements de la société à travers le cinéma et la mode, l'évolution d'une femme qui prend de plus en plus de pouvoir et de force.

Maintenant, il y a Wonder Woman, une héroïne moderne. Et il y a les hommes qui deviennent de plus en plus, disons vénaux, les hommes objectent. J'ai montré dans mes collections des hommes « féminins »… assumant leur sex-appeal. Dans le passé, seule une femme pouvait être un objet sexuel.
Quand j'ai fait mon premier défilé pour hommes, j'ai montré un homme comme un objet sexuel. Je voulais montrer le contraste, quelque chose qui était tabou, les différences par rapport au pouvoir.

Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE
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J'ai fait de la mode parce qu'il y avait cette notion de spectacle, de show. Je voulais que la mode fasse ce show. On voit passer les mannequins. Mais le spectacle est quelque chose d'irréel, d'abstrait, vous voyez ? C'est comme un film. Il y a les projecteurs sur les mannequins, un public, les gens applaudissent s'ils aiment le spectacle. C'est pourquoi quand j'ai commencé à faire mes spectacles, j'ai demandé à des actrices de faire le runway.
Mes modèles ont une telle énergie, une telle personnalité, qu'ils reflètent ce que je ressens pour les femmes modernes… Les jeunes femmes que j'avais rencontrées au Palace à l'époque m'inspiraient beaucoup, et certaines d'entre elles m'ont demandé de poser pour moi. J'aime certainement les modèles au physique très différent, qui était plutôt un peu androgyne.
Par exemple j'ai demandé à Edwige qui était la reine des punks français et à Farida Khelfa de devenir mannequin pour moi, qui avait une beauté maghrébine absolument sublime. Son attitude était aussi très différente… l'attitude est très importante. Dans un spectacle les gestes des mannequins sont très importants. Ils représentent des personnalités de mannequins et moi parfois… c'est une parenthèse, mais j'invite parfois des actrices ou même des rock stars à faire le show. Et je dois dire que pour eux c'est assez difficile de s'exprimer uniquement avec des gestes, avec le regard. C'est un peu comme une chorégraphie.
Comment s'exprimer sans un mot, c'est très difficile. Je voyais de plus en plus de mannequins qui avaient beaucoup de choses à dire, qui étaient très intelligentes. C'est ridicule mais à l'époque… c'était vraiment comme ça… il y avait ce genre de « machisme », et j'ai essayé de montrer que les hommes peuvent être beaux, et de me taire…
C'est pourquoi je me tais maintenant ! Hahaha…

J'ai eu mon rêve d'enfant… Je rêvais de faire de la mode, de faire des défilés, et je l'ai réalisé. Je m'amuse en travaillant. C'est comme s'amuser… J'aime m'amuser, je ris beaucoup.
Ah… il y a un autre film qui m'a influencé dans mon travail. Un photographe William Klein qui a réalisé un film « Qui êtes-vous Polly Maggoo ? ». C'est l'un de mes films préférés. Il montre la mode sous un angle très différent, de manière plutôt sarcastique et ironique.
Donc je n'ai peut-être pas de sarcasme, non, mais je vois très bien le côté ironique de la mode qui peut être là. C'est une sorte de décalage avec le snobisme qui peut être à la mode parfois. Tout cela m'a toujours amusé en même temps.
Je ne me sentais pas du tout concerné par ce côté-là, au contraire j'essayais de surmonter ce snobisme et d'être très prudent. Je ne juge pas les gens par leurs vêtements, je regarde et essaie de comprendre les gens par leur attitude, et de voir ce qu'il y a à l'intérieur.

Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE
Entretien de la Cinémathèque Jean Paul Gaultier Cinemoda par RUNWAY MAGAZINE

Je me souviens de la dernière scène du film « Huit femmes » avec Catherine Deneuve et Fanny Ardant. Il y a une scène de bagarre entre eux. Leur combat ressemble à une sorte de croquis, et ce n'est pas vraiment un combat, c'est aussi un câlin.
Bon, c'est comme ça que je voulais montrer la vie aussi, c'est comme ça que je voulais faire le défilé, c'est comme ça que j'ai toujours vu le runway. Et ce mélange entre bagarre et câlin, on le sent à travers leurs vêtements.
Catherine Deneuve portait une robe Saint Laurent, et cette tenue la montrait si bien en « Bobo », une femme bourgeoise. Elle a montré cette image dans le film « Belle de jour »… vert discret, secret et politiquement correct, et en vérité avec son univers inversé.
Ainsi, ces films sont la correspondance sociale de tous les issues dans notre société, et cela se voit à travers les vêtements. On peut dire que les vêtements ne font pas tout, c'est la personne qui les porte qui compte.
Je veux dire que c'est la personne qui fait bouger le vêtement, qui donne vie à un vêtement de mode, c'est l'objet le plus important pour l'observation et la compréhension. Les vêtements sont faits juste pour montrer l'intérieur d'une personne qui les porte. Les vêtements ne sont faits que pour ça. Les vêtements sont primaires, ils sont secondaires… Mais les vêtements sont très importants, car à travers les vêtements, nous pouvons communiquer. C'est ainsi qu'ils sont devenus un facteur social très important.

Jean Paul Gaultier, Éléonore de Gray, Guillaumette Duplaix - RUNWAY MAGAZINE
Jean Paul Gaultier, Éléonore de Gray, Guillaumette Duplaix – RUNWAY MAGAZINE


Posté de Paris, Quartier de Bercy, France.