De la couture à la culture : la révolution de la mode dans les années 1960. Article de Guillaumette Duplaix, rédactrice en chef de RUNWAY REVUE.

La mode dans les années 1960

La mode des années 1960 marque un renversement complet des normes établies. Le règne autrefois inébranlable de la Haute Couture est supplanté par le Prêt-à-Porter, porté par une jeune génération devenue à la fois muse et cliente finale.
Paris, capitale incontestée de la mode, a dû céder son trône au « Swinging London ». Londres est devenue le cœur battant des tendances, propulsée par la musique pop et les comportements culturels qu'elle inspirait.
Bientôt, la France vit l’essor de sa propre culture « yéyé ».
L'esthétique Space Age de Courrèges et la mini-jupe s'imposent comme symboles de l'époque. Les matières synthétiques prennent le dessus, popularisées par Pierre Cardin et Paco Rabanne.
Curieusement, malgré une forte influence britannique, les États-Unis sont restés largement conservateurs en matière de mode, à l’exception de quelques tendances apparues à New York et à Los Angeles.
Une chose est sûre : la rupture avec les années 1950 a été radicale.

Historique
Depuis le New Look de Christian Dior en 1947, la Haute Couture avait connu un âge d'or. Balenciaga et Givenchy régnaient en maîtres. Les années 1950 étaient marquées par un paysage de la mode relativement uniforme, dominé à l'échelle mondiale par la couture parisienne, que ce soit par son omniprésence dans les magazines ou par ses innombrables copies, légales ou illicites. Elle établissait la norme mondiale.
La haute couture et la confection industrielle – ancêtres du prêt-à-porter de luxe – étaient commercialisées dans les grands magasins, confectionnées en usine ou par des artisans qualifiés. Pour le quotidien, les vêtements étaient souvent confectionnés à domicile ou par des couturières du quartier.
Le contexte social général restait conservateur. Le mouvement de libération des femmes n'avait pas encore véritablement démarré, même si les pénuries d'après-guerre commençaient à s'estomper.
La haute couture commença à perdre la faveur de la classe moyenne émergente des années 1960. Elle était jugée trop coûteuse et trop élitiste. Les maisons de couture et les grands magasins peinaient à saisir ce changement de hiérarchie dans la mode.
Les silhouettes rigides et corsetées ont cédé la place à de nouvelles formes ludiques. Les méthodes de production américaines industrialisées ont inondé le marché d'une mode accessible et produite en série.
L'essor du prêt-à-porter

À la fin des années 1950, le coût élevé et la faible rentabilité de la Haute Couture ont contraint les maisons de couture à se diversifier, notamment en ciblant une clientèle plus jeune et en luttant contre le flot de copies. De nombreux couturiers ont créé des lignes secondaires avec des « modèles conçus pour être exécutés sans essayage ». Certaines des lignes les plus luxueuses ont adopté le nom du créateur, souvent associé au mot « Boutique », suggérant à la fois une nouvelle identité et une présence en vitrine, une pratique étrangère à la couture traditionnelle.
Les grands couturiers se sont presque tous adaptés à la tendance. Ces lignes de luxe ont progressivement cédé la place à des collections plus accessibles, un mouvement que les couturiers ont baptisé « grande diffusion ».
Parallèlement à cette démocratisation de la mode, de nombreuses nouvelles marques ont émergé sur le marché du prêt-à-porter de luxe. Une nouvelle génération de créateurs a bouleversé l'ordre établi, façonnant le paysage de la mode parallèlement à l'élévation du niveau de vie. Le vêtement est passé du statut de simple produit fonctionnel à celui de produit de consommation. Pratique, frais et accessible, le prêt-à-porter a commencé à conquérir d'importantes parts de marché.
Jusqu'alors, la suprématie de la Haute Couture imposait une structure pyramidale : du créateur à la couturière de quartier, en passant par la production de masse. Cela créait des styles saisonniers quasi uniformes. Mais cette structure a cédé la place à une multitude de tendances. Le shopping dans les grands magasins a été remplacé par la culture boutique.
Les enfants du baby-boom ont grandi en rejetant le style de leurs parents. Indépendants d'esprit, ils ont adopté le prêt-à-porter. La mode n'était plus l'apanage de l'élite, mais de la rue, se libérant du poids du passé.
Les idéaux traditionnels de beauté féminine furent bouleversés. Les jeunes femmes ne souhaitaient plus ressembler à leurs mères. La mode cessa de symboliser une nation, une classe sociale ou une génération. Elle incarnait désormais des groupes d'âge, des mouvements culturels, des idéologies, des goûts musicaux et des comportements. Les adultes commencèrent même à copier la jeunesse.
La mode est devenue internationale et, parfois, homogénéisée, symbolisée par la diffusion unisexe des jeans à travers le monde.

A Media Révolution
La culture visuelle, la communication et l’information ont explosé, accélérant la mondialisation de la mode.
De nouveaux mannequins aux allures androgynes font leur apparition dans les magazines, devenant des icônes. Aux États-Unis, Diana Vreeland s'impose comme un puissant vecteur de nouvelles tendances. Les magazines de mode deviennent le reflet des changements sociétaux et de l'évolution du rôle des femmes.
Les premiers « bureaux de style » sont nés, chargés d’analyser les tendances de la mode et de guider les fabricants, les détaillants et même les magazines.
La production, autrefois proche de l'atelier du créateur, est devenue de plus en plus externalisée, ouvrant le processus créatif aux influences extérieures.
Les tissus synthétiques ont supplanté les tissus naturels, faisant chuter les prix. Les collants ont été produits en masse, remplaçant les jarretières et les gaines. Les silhouettes corsetées ont disparu au profit de looks audacieux et confortables : chaussures plates, voire pas de lingerie du tout. La silhouette a radicalement changé dès le début de la décennie.
Les mini-jupes sont arrivées d'Angleterre, les ourlets ont augmenté et les bottes au-dessus du genou sont devenues des incontournables de la garde-robe.
Pour les hommes, le costume-cravate formel restait essentiel, idéalement italien, Naples, Milan et Rome étant les maîtres du style. Le costume fut parfois remplacé par une esthétique plus libre, parfois preppy, mais la baisse des prix marqua le début d'une ère de renouvellement constant des garde-robes. Les vêtements devinrent jetables.

La suprématie swing de l'Angleterre
Mary Quant a ouvert Bazaar à Chelsea en 1955, un café-boutique qui est devenu un centre culturel et l'épicentre du Swinging London.
Si la minijupe était apparue dans le show-business pendant l'entre-deux-guerres, c'est Mary Quant qui la popularisa dans les années 1960. Sa marque était une déclaration rebelle contre la mode parentale. Plus qu'un look, elle créa un style de vie : le premier concept store proposant du maquillage, de la papeterie, de la décoration intérieure et même de la vaisselle, souvent arborant son emblématique logo à la marguerite.
Grâce aux mannequins Twiggy et Jean Shrimpton, le look londonien s'est répandu dans toute l'Europe et a atteint les États-Unis.
Londres mena la charge. John Stephen, figure emblématique de la mode des années 60, habillait les Mods depuis sa boutique « His Clothes » : chemises ajustées, cravates fines ou cols roulés, pantalons étroits ou costumes à l'italienne. Bien que peu nombreux et majoritairement britanniques, les modernistes ont lancé les tendances masculines dans le monde entier.
Ossie Clark a façonné la mode féminine britannique, tandis que John Bates a habillé Emma Peel dans la série culte Les Vengeurs.


Musique et Media
Les radios à transistors se sont multipliées, avec des émissions dédiées aux femmes et aux jeunes. La musique britannique, puissante influence stylistique, a inauguré les Swinging Sixties : les Rolling Stones ont façonné la mode masculine, tout comme les Beatles et The Who.
En France, la musique yéyé a eu une influence majeure. Sylvie Vartan, Françoise Hardy et Sheila sont devenues des icônes de la mode, présentées dans des magazines comme Mademoiselle Âge Tendre et Salut les CopainsLe lien entre la musique et la mode s’est renforcé.
Le cinéma a fait écho à ce changement. Après ses débuts avec Godard, l'actrice américaine Jean Seberg a influencé la mode française avec sa coupe garçonne, son pantalon slim, ses lunettes de soleil oversize et ses ballerines.
Elle devient un symbole de la Nouvelle Vague, aux côtés de Jeanne Moreau, souvent habillée en Pierre Cardin.
D'autres actrices ont inspiré les tendances mondiales, comme le béret, la jupe jusqu'aux genoux et le manteau de Faye Dunaway. Bonnie and ClydeLe look est devenu extrêmement populaire et a même marqué le déclin de la mini-jupe.
À la fin de la décennie, Woodstock symbolisait l’essor de la culture hippie et le déclin de l’esprit yéyé.



Les créateurs français et le nouveau rôle de la couture
Bien que la France ait perdu son titre de capitale de la mode, de nombreux créateurs ont maintenu le dynamisme et l'inventivité de Paris. La Haute Couture a progressivement assumé son rôle actuel : un laboratoire d'idées et de créativité, projetant le prestige français tout en se déclinant en lignes plus accessibles pour financer les maisons.
L’époque a forcé les vétérans à s’adapter.
André Courrèges fonde sa maison en 1961, adhérant pleinement à la révolution de la jeunesse. Ses défilés, dominés par le blanc, mettent en scène de jeunes mannequins sautant ou dansant – un concept nouveau. Il popularise la mini-jupe en France et introduit des vêtements en métal et en PVC, illustrant ainsi toute la gamme des nouveaux matériaux disponibles.
Alors que Youri Gagarine gravitait autour de la Terre, Courrèges cherchait l'inspiration dans l'espace. Il fut surnommé le créateur de « l'ère spatiale ». Pierre Cardin et Paco Rabanne lui emboîtèrent le pas, adoptant une esthétique futuriste et des textiles synthétiques.
En revanche, Yves Saint Laurent, formé chez Dior, lance sa propre maison en 1962. Cherchant à démocratiser la mode, il crée Saint Laurent Rive Gauche avec des collections indépendantes. « Mon véritable public, ce sont les jeunes femmes actives », déclarait-il. Bien que le port du pantalon soit encore interdit aux femmes, il créa pour elles le premier smoking.
Comme l'a dit Pierre Bergé : « On dit souvent que Chanel a libéré les femmes, et c'est vrai. Des années plus tard, Saint Laurent leur a donné le pouvoir. »


Conclusion
Paris demeura prestigieuse, alternant entre un prêt-à-porter innovant et une couture élitiste. Mais les années 1960 marquèrent un nouvel ordre mondial dans la mode occidentale. Les États-Unis et l'Angleterre devinrent des influences dominantes. Les progrès de la communication et de la distribution, alimentés par l'essor économique des « Trente Glorieuses », signifièrent que la mode n'était plus une exclusivité régionale.
Les réseaux de distribution mondiaux ont accéléré l'innovation et le renouvellement du vêtement. Vers la fin de la décennie, certaines tendances ont disparu tandis que d'autres ont pris de l'ampleur. La vague hippie a déferlé sur le monde occidental, exprimant un rejet de la mode matérialiste fondée sur des produits synthétiques produits en série.
En observant la mode des années 60, nous découvrons un cycle éternel de réinvention.